Direction des Actions Culturelles de Gonesse Pôle culturel de Coulanges, 24 rue de Paris 95500 GONESSE France
7ème Biennale d'Art Contemporain de Gonesse
Lorsque le département du Val d'Oise a décidé de mettre en place une grande opération autour de l'Afrique subsaharienne Visas pour l'Afrique, il était naturel que la ville de Gonesse s'inscrive dans cette démarche ; la Biennale d'art contemporain ayant depuis son origine, un fil conducteur autour de l'aérien, du vent et du voyage.
Conscients de l'importance indéniable de l'art africain sur notre histoire de l'art, avec le commissaire d'exposition Dominique Marchès, nous nous sommes interrogés sur les moyens de présenter des œuvres contemporaines témoignant de l'Afrique. Il nous paraissait essentiel de montrer aujourd'hui combien le continent africain influence et marque les artistes qui s'y rendent. De nombreux échanges, interférences, coopérations se créent dans les domaines de l'art, du cinéma, du théâtre, de la danse et de la littérature entre les artistes africains et ceux des anciennes puissances coloniales.
Cette orientation, pour la biennale, trouvait d'autant plus de cohérence que l'Abbaye de Maubuisson et sa directrice, Caroline Coll, a fait appel à un commissaire d'exposition africain, Simon Njami pour présenter la monographie d'un artiste camerounais, Bili Bidjocka.
Dès l'origine, nous avons réfléchi à la complémentarité de ces deux expositions et avons associé nos deux équipes pour que, sur le département, une véritable réflexion soit menée autour d'une participation nouvelle de l'Afrique subsaharienne. Valoriser l'apport de ces cultures à notre corpus culturel est d'autant plus évident que de nombreuses populations françaises sur notre territoire sont originaires de ces pays.
Le fait de tisser ensemble un petit bout de cette grande tapisserie qui est notre monde, nous paraît fructueux. Aussi, c'est avec grand plaisir que nous vous présentons cette 7ème Biennale d'Art Contemporain, en pleine harmonie avec le parti pris du commissaire de l'exposition.
Alain Pigot, Maire-Adjoint chargé des Actions Culturelles
Bernard Mathonnat, Directeur des Actions Culturelles et du Patrimoine
Afrique, retours d'images
Réunir des artistes français peut paraître une initiative ingénue ou iconoclaste pour parler de l'Afrique. Le terrain est miné et le propos s'expose à la critique dès lors qu'il est question d'art, et d'artistes qui nous parlent de leur relation à l'Afrique. Sans défi, cette exposition à Gonesse relève d'une invitation, d'une réunion à partager entre amis pour parler de soi, aussi.
Pour Gauguin - le voyageur antinaturaliste, en quête d'un art de synthèse inspiré par l'art populaire – les artistes Fauves, Derain et Vlaminck, mais aussi Braque et Matisse, l'art africain fut une rencontre déterminante au début du XXème siècle. En 1907, en visitant par hasard le Musée d'Ethnographie du Trocadéro, Picasso découvre que les masques étaient d'abord « des choses magiques... des intercesseurs... ». Il réalisait subitement « pourquoi il était peintre. Et Les Demoiselles d'Avignon ont dû arriver ce jour-là, mais pas du tout à cause des formes : parce que c'était ma première toile d'exorcisme ». De l'aspect esthétique et formel on passait à une perception des choses de l'esprit à travers les objets – le plus souvent des masques. La question du regard, de la représentation, de l'indicible et l'invisible prenait place dans le processus de la création moderne.
En 1909, Raymond Roussel édite Impressions d'Afrique à compte d'auteur et en 1912 l'adaptation du livre est reprise au théâtre avec des spectateurs prestigieux : Marcel Duchamp, Françis Picabia, Guillaume Apollinaire, Michel Leiris... la pièce fait scandale. C'est en vain qu'on cherchera des références ou des indices de séjour dans l'Afrique réelle. Etrange voyageur, auteur de son enfermement intérieur, Roussel semble refuser le tourisme et l'exotisme, et l'instrumentalisation de l'étranger chère à Leiris et Levi-Strauss. Avec son écriture, ses voyages rêvés, Raymond Roussel marque les écrivains et les artistes qui fonderont le mouvement surréaliste. Les postures de Roussel et Duchamp, voilà peut-être la bonne entrée – non conventionnelle, non rationnelle - qui exprime ce que Picasso pressentait : le sujet n'est pas le visible.
Un siècle plus tard, l'art contemporain africain avec ses artistes affirmés est incontournable sur la scène internationale. Ces artistes circulent, s'installent indifféremment en Europe, en Amérique, gardent pour certains une base – leurs racines – au pays. La reconnaissance est au rendez-vous dans les importantes manifestations internationales, biennales et autre Documenta, du débat ouvert par Jean-Hubert Martin avec les Magiciens de la Terre, en passant par l'exposition itinérante Africa Remix ou la consécration de Malick Sidibé, Grand Prix de la Biennale de Venise 2007. L'art africain contemporain a acquis son autonomie sur l'ensemble du continent d'Afrique, dans une belle diversité, une grande richesse et s'affiche à armes égales dans le mouvement international.
De l'art africain à l'Afrique subsaharienne – territoire qui fait l'objet de l'exposition à Gonesse – l'Afrique suscite-t-elle toujours une curiosité, un intérêt pour les artistes en France ? L'attirance, l'appel est toujours là, pour de vrais voyageurs à la rencontre du pays réel, de sa culture et ses habitants. Si la posture de Raymond Roussel ne peut faire office de viatique, elle reste toujours une référence dans l'imaginaire des auteurs et des artistes. Il est même difficile d'échapper à l'expression « impressions d'Afrique » : ce pourrait être le titre bis de l'exposition Afrique, retours d'images si l'on poursuivait l'aventure des mots et leurs détournements sur le registre de la production des images.
Afrique, retours d'images, est le récit de séjours, d'expériences, de productions, de partages. Une exposition humble où «les choses à voir», sont les témoignages d'histoires vécues par des artistes français choisis selon leurs différences d'approche.
L'expérience du voyage peut être circonstanciée, telle celle de la jeune commissaire Solenne Auger qui rejoint sa cousine Charlotte, stagiaire d'une ONG au Burkina Fasso, et s'invite à Bamako au Mali chez Malick Sidibé. Il en résulte un portrait photographique couleur locale comme les mots du carnet de la voyageuse.
Chez Noël Dolla, les voyages réguliers dans différents pays sont une nécessité pour de s'échapper de l'Ecole et pêcher en eau trouble... comme la vidéo Tropicana en témoigne. Pour Marion Laval-Jeantet et Benoît Mangin, l'approche anthropologique, ethnographique et politique, et le vécu d'expériences de terrain, donnent lieu à des restitutions photographiques et vidéo, où les jeux de rôles et leurs interprétations sont troublantes.
Plus classique est la démarche du sculpteur Alain Kirili qui s'initie forgeron et s'associe au sculpteur dogon Amahiguere Dolo avec ses racines d'arbres retravaillées, pour produire à quatre mains des sculptures intemporelles aux références animistes. Le photographe Bernard Descamps, tout aussi classiquement dans le cadre de sa pratique, nous restitue l'atmosphère du fleuve Niger au Nord du Mali. Un voyage chez les bergers Peuls et les pêcheurs Bozo : « Ici la vie est un don du ciel comme le lait ».
Régis Perray, voyageur des rues à travers le monde, note dans son Petit Dictionnaire Autobiographique à propos de son voyage en République Démocratique du Congo : « Couleur : Je n'étais pas une couleur, je suis devenu blanc à Kinshasa ». « Kinshasa : Peu de bitume... ». Toutefois dans les rues, la rencontre avec le vendeur de balais itinérant est inévitable. Notre homme de la rue porte ses balais comme un bouquet : portrait en pied magnifique. Autre portrait, celui de l'artiste : « Portrait de nègre en blanc », réalisé par le local Pathy Tshindele.
S'il est une expérience de partage avec le pays réel, c'est bien celle d'Agnès Caffier au Burkina Fasso. Elle emporte avec elle des affiches représentant des angiographies (radiographies des vaisseaux) ; les arborescences de celles-ci trouvent un écho chez les enfants d'une école de la périphérie de Ouagadougou. A l'école de Saaba, les enfants ont identifié les angiographies comme des arbres et complété les visuels des affiches, de dessins synthétiques qui témoignent de leur connaissance des espèces végétales. Les affiches retravaillées sont exposées sur les murs de terre de l'école.
Nadine de Koenigswarter effectue de longs séjours en Afrique, principalement au Sénégal. Portée par la vie africaine et un rapport au temps qui nous est étranger, l'artiste dessine et photographie. De retour à son atelier parisien, les grands tirages noir et blanc sur papier argentique sont percés, incisés, travaillés à l'envers et à l'aveugle. Il en résulte des scarifications aléatoires, tantôt sur toute la surface, tantôt ponctuelles, voire reliées par des fils cousus. Le photographique ne relève que de la prise de vue – des images poétiques et troublantes de simplicité - et l'approche plastique, d'une pratique artisanale et simple. Le tout évoque une cosmogonie propre à Nadine de Koenigswarter.
A la recherche de l'ami du père, Henri-François Imbert parcourt le Mali pour retrouver Doulaye qui enseignait en France à l'Ecole Normale de Châteauroux comme les parents de Henri-François Imbert. Le réalisateur, selon son mode de production très personnel - prises de vues amateur, voix off – propose un récit attaché à des faits réels, avec enquêtes, visites de lieux et usage d'archives ; un travail de mémoire, minutieux. Henri- François Imbert, trente années plus tard, retrouve Monsieur Doulaye, un sage dans son pays, un intellectuel intègre. Du film sorti en 1999, Doulaye, la saison des pluies, est né une installation vidéo.
« Une Afrique plan à plan », sans théâtralité, excluant tout folklore, caractérise les vidéos de Stéphane Pichard qui relatent des séquences de la vie quotidienne. Olivier LEROI quant à lui, fait tomber des flocons de ouate : un vrai conte d'hiver pour ces enfants maliens du pays Dogon qui les voient descendre du ciel.
Enfin l'artiste d'origine camerounaise Bili Bidjocka, qui déploie un projet spécifique à l'Abbaye de Maubuisson, apportera sa présence et sa culture.
Voici énoncés les origines et le contenu de l'exposition Afrique, retours d'images. Grâce aux artistes, leurs expériences et leurs productions, l'exposition rejoint la quête du voyage rêvé, dans une Afrique circonscrite mais bien réelle. L'Afrique impressionne et révèle toujours la part d'inconnu et d'imaginaire de l'artiste voyageur. Qu'il en soit de même pour le visiteur de l'exposition.
Dominique Marchès