Photographe marseillais d’origine sarde, dernier né d’une fratrie de six enfants, il y a tout juste plus d’une quarantaine d’années, Robert Loï pose très tôt un regard d’observateur sur la ville. D’abord « sage comme une image », il se révèle à partir de sa onzième année comme véritable trublion. Il finit par développer une véritable « phobie de la ville », à vrai dire, il s’agit d’une répulsion paradoxalement attractive.
Enfant et adolescent, il regarde à la télévision et sans faillir en dépit de l’heure tardive, le « cinéma de Minuit ». Il y apprend beaucoup à propos de l’humanité et de la ville qui, souvent, sert de décor. Il s’y découvre une véritable passion pour le film « noir » américain, des années 1930-1950. Le film dont il ne se lasse pas est Quand la ville dort (The Asphalt Jungle) réalisé par John Huston. Le héros incarné par Starling Hayden quoique blessé à mort, utilise ses dernières forces pour quitter la ville et serrer une dernière fois dans sa main un brin d’herbe de sa campagne natale. Parmi ses cinéastes favoris se rencontrent par ordre d’importance (mais la liste est loin d’être exhaustive) Jean-Pierre Melville et ses « histoires policières faites de trahisons, de faux-semblants et se déroulant dans des ambiances urbaines ». D’autres encore comme Marcel Carné, Marcel Pagnol en qui il admire le véritable précurseur du courant néoréaliste italien, Julien Duvivier, Henri Georges Clouzot pour son regard féroce sur les rapports humains, mais aussi Jacques Becker, Sergio Leone, Howard Hawks, Anthony Mann, Martin Scorsese, Brian de palma, John Carpenter, Ridley Scott…
En juin 2004, Robert Loï crée un site web dédié à une encyclopédie du cinéma. Il s’agit d’une base de données considérable, d’un savoir accumulé depuis de nombreuses années et qu’il souhaite faire partager. L’expérience dure jusqu’en mars 2007. Les chiffres sont impressionnants : « 18 172 fiches films dont 3 446 illustrées par une affiche ou des photos, 79 017 fiches artistes dont 1294 illustrées par une photo, 258 128 correspondances films artistes en lien hypertexte, 4 094 résumés de films », et puis c’est l’année « 2007 », année de toutes les ruptures. Mais, c’est décidé, il tournera une page de sa vie et « apprivoisera la ville », définitivement cette fois-ci, par le biais de la photographie pour se re-trouver et peut-être proposer à partir de soi une interrogation en images de la ville. De plus, la même année, pour discipliner sa sensibilité, il crée un blog, Les chemins de poussière, qu’il dédie cette fois-ci à l’écriture « poématique ». Quoi qu’il en soit, désormais, Robert Loï n’est plus un spectateur devant un écran mais un metteur en scène-cadreur qui a retenu les leçons du cinéma.
Du cinéma à la photographie
Progressivement, en même temps qu’il diversifie son activité, il élargit son champ d’action tout en conservant les mêmes thématiques visuelles. De janvier 2008 à mars 2011, une série d’expositions ayant pour titres : Couleurs urbaines, Marseille en noir et couleurs, Décryptages urbanistiques , (des) enchantements urbanistiques, donnent à voir et à penser au public.
Puis Robert Loï - l’oeil toujours rivé à son appareil - exerce la fonction de directeur de la photo sur le tournage d’un court-métrage réalisé à Paris par Adrien Lhoste, L’ennui d’un jour. Mais pour ce photographe, tout est toujours prétexte à photographier... Il en profite pour poursuivre la recherche qu’il a débutée à Marseille, sa ville natale. Paris puis Bruxelles servent de décor à de nouveaux travaux qui témoignent d’une réelle maturation. Ceux-ci - dans le courant de l’année 2012 - seront montrés au public par le biais d’expositions et d’un site web dédié.
D’ailleurs, les universitaires Giorgio Pigafetta (**) et Patricia Signorile, se sont intéressés à ce travail de recherche. Ils y perçoivent un questionnement fondamental relatif aux nouvelles modalités de « l’habité » du citadin et, à celui de la ville contemporaine qui se transforme. Les photographies de la ville en mutation ont initié un projet de collaboration éditoriale associant les images à un commentaire.
Un scénario de science-fiction est en cours d’écriture et Adrien Lhoste pourrait l’adapter et le mettre en scène. L’organisation d’autres « voyages photographiques » dans les capitales européennes, mais aussi un programme de recherche, orientent les actions à mener pour l’année à venir.
2 Démarche artiste et quête de Sens
"Fictionnaliser" la réalité
A propos de la ville qui lui sert de prétexte, Robert Loï médite, en réalité, sur les rapports entre la forme et la couleur, l’humanité et l’urbanité dont on ne sait, d’abord, s’ils existent dans un affrontement ou une interaction. En tout cas l’homme habite cet espace urbain et celui-ci lui sert de cadre. Le scénario de ce film sans mouvement présente des séquences de hasards et de rencontres qui démontrent que la ville n’en est plus à un paradoxe près. Celle-ci devrait être au service des citadins, or le cadre urbain crée des dégâts. Marseille, Nice, Bastia, servent de terrain d’observation au photographe. Il y effectue des repérages pour voir comment les citadins se comportent dans un décor de signes, de lignes, d’architecture. Les photographies collectées sous le titre « Urbaines » en témoignent, « (des) enchantements » urbanistiques donne le ton.
Robert Loï a choisi de questionner les individus de la ville contemporaine, dans leur pratique quotidienne des flux, des rencontres, des signes, des aléas, des espaces publics tout en proposant un mode de fonctionnement différent. Lui, a choisi de se perdre en ville, d’errer, de chercher la désorientation dans l’orientation des signes. Muni d’un appareil léger extension de son oeil, il rend ainsi compte du mouvement de la ville, de la foule, des flux, des solitudes. Il montre aussi la rationalité du déplacement et l’uniformisation des espaces.
Ainsi le photographe avec ces images procure un cadre conceptuel qui rend compte de la relation de l’homme à l’espace. « Habiter » est ici explicitement mobilisé, en liaison, avec la « condition urbaine » et la perspective de déployer une « éthique ». Celles-ci permettent d’appréhender la mégapole moderne et notamment la mobilité des flux et des êtres qui y circulent. Par ailleurs, certaines photographies reflètent la diversité des problématiques questionnant « l’habiter » et, les manières de s’en saisir, au-delà des murs du logement. Toutes renvoient à des dimensions à la fois intimes, sociales, architecturales et universelles de la condition urbaine.
Le seul artifice qu’il s’autorise est celui de la décoloration de l’image numérique qu’il utilise pour saisir les détails, l’errance des individus qui traversent ou séjournent dans des lieux. Au bleu mystique s’oppose le jaune chaud, les différents silences des blancs et des noirs, la passion du rouge, couleurs que le photographe met en relations avec ronds, triangles et carrés, lignes ouvertes ou fermées. Le spirituel est alors du ressort de l’image. C’est, en fait, la vie saisie dans un élan cosmique, dans une effusion spirituelle, que capture l’objectif de Robert Loï. Ce sont les couleurs primaires qui articulent toujours la composition. Les éléments se répondent dans un jeu d’oppositions et de complémentarités.
La condition urbaine
Il montre, également, la beauté et l’aliénation produites par l’acier, le verre, le béton et l’asphalte mais aussi, les évolutions possibles des sociétés et de leur fonctionnement en matière d’organisation : justice, transport, habitat, culture, (progrès) moral…Robert Loï ne se contente pas d’enregistrer le réel : ses images recèlent également un fort pouvoir de « fictionnalisation ». C’est donc la « vérité spectaculaire » de ce type de représentation que le photographe va interroger tout au long de sa quête du sens.
Si dans La chambre claire, Roland Barthes oppose cinéma et photographie, puisque, immobile, la photographie reflue de la représentation vers la rétention, Robert Loï, autodidacte fasciné par les images, a transposé du cinéma à la photographie le même univers construit autour d’une double constante : la ville en mutation avec ses lignes, ses lieux, ses personnages-types, ses scènes de la vie quotidienne, mais aussi ses espoirs et ses rêves brisés. Le passé est désormais aussi sûr que le présent. Le pouvoir de représentation prime sur le pouvoir d’authentification. Ce passage de l’une à l’autre de ces formes d’expression artistique, est d’une certaine manière inscrit dans l’itinéraire de la vie de Robert Loï. Son goût photographique est d’origine cinématographique, il scrute le « dedans du fragment ». Il s’agit d’un regard « filmique ».
Ethnographe urbain.
Pour Giorgio Pigafetta, ces photographies de la ville ont une vocation qui va bien au-delà du documentaire ou du « glamour-urbain ». En effet c’est bien d’un vécu et d’un imaginaire nostalgique qu’il s’agit. Un peu comme si les citadins étaient des acteurs à la recherche d’une ville perdue ou à la recherche d'une ville telle qu’ils aimeraient la vivre. Mais la photographie est alors mobilisée comme support de mémorisation au même titre que le journal de terrain. Ainsi dans cette perspective, l’enjeu est plutôt de documenter le changement en faisant varier les échelles temporelles (les saisons, les mois) et spatiales (le quartier, la métropole) ainsi que les objets : la morphologie urbaine, les usages sociaux de l’espace, les formes non verbales de communication. Il s’agit en fait, d’une sorte d’ethnographie urbaine.
Texte de Patricia Signorile
(*) Patricia Signorile, Université d’Aix-Marseille (France). Ses recherches portent sur les processus de création artistique en interaction avec le cadre de la culture. Philosophie, littérature, peinture, dessin, architecture … sont ses objets d’étude. Elle est l’auteure de nombreux essais pluridisciplinaires. Elle interroge l’art à la lumière des sciences
(**) Georges Pigafetta, Université de Gênes (Italie). Son abondante bibliographie se divise en trois axes principaux de recherche: la relation entre l'esthétique et l'architecture, l'histoire de la mécanique dans les traités de l’époque moderne, les théories architecturales contemporaines. Outre une production éditoriale spécifiquement consacrée à l’architecture, il est l’auteur de nombreux essais dans lesquels il analyse les arts selon des modalités pluridisciplinaires.