Dans les photos sensuelles de mode de Kai Stuht s’affrontent, dans un balancement parfait, des contrastes complexes. C’est un maître du sublime. D’un côté, le photographe de mode émerveille avec une abondance baroque et une élégance fluide, de l’autre il contre chaque soupçon de festivite
exagérée avec le charme du délabrement. Des rideaux de tissu raffinés pendent dans leurs volutes symétriques devant un mur industriel dépouillé. Entre les deux se bousculent de minces mannequins comme des déesses antiques et des princesses rêveuses prenant la pose. Le concept visuel auquel le directeur artistique Miles Cockfield, qui a déjà travaillé avec Michael Comte et Sarah Moon, a collaboré, offre une toile de fond parfaite pour une nouvelle mise en scène remplie d’allusions à des références mythologiques et de l’histoire de l’art. D’énormes balles, comme des globes levés par des déesses prêtes au lancer, ne remplissent pas seulement l’image formellement, mais contrent aussi, dans leur mise en scène, la matérialité des rideaux. Dans une autre photo, des lavabos sont exposés comme des trophées de chasse précieux sur les restes drapés d’un carrelage hollandais. Flanqués d’une haute échelle en bois, ils préparent notre regard au mannequin habillé d’une robe de soirée moulante. C’est comme si on assistait à la remise en scène consciente d’une peinture d’un vieux maître, dont le sujet biblique et antique recevrait un nouveau visage grâce aux moyens d’envergure de la photographie de mode et d’un sens aigu pour le récit dramaturgique. Chez Stuht, le vieux n’a pas l’air vieux et le nouveau jamais artificiel.