Evgueni Khaldei naît au sud de l’Ukraine en 1917, l’année de la Révolution Russe. Alors qu’on vient juste de célébrer son premier anniversaire, il est blessé au cours d’un pogrom, par la balle qui tue sa mère. A 15 ans, fasciné par les photoreportages publiés dans le grand hebdomadaire russe Ogoniok, il construit son premier appareil avec une boîte en carton et un des lorgnons de sa grand-mère en guise d’objectif. A 19 ans, il est engagé à Moscou par l’agence TASS, où il est formé par les plus grands photographes.
Entre 1937 et 1939, il effectue son service militaire à Dalnivostok, le long de la frontière chinoise. Les clichés qu’il y produit témoignent déjà d’un sens du cadrage rigoureux. Pour Khaldei, l’image va au-delà de l’information, elle est icône ou symbole. C’est ainsi qu’il retravaille souvent ses images, forçant la lumière, jouant des contrastes, pratiquant aussi des montages saisissants, pour en aiguiser le sens. Dès ses premières photographies, qu’il tirait sous ses draps, il a toujours produit lui-même ses tirages, ne souhaitant pas se décharger de cette étape essentielle.
Juin 1941, l’Allemagne envahit la Russie. A Moscou, lorsque la nouvelle jaillit des haut-parleurs dirigés vers la rue, Khaldei saisit les visages tendus des Moscovites, réalisant ainsi sa première photographie de la Guerre. Il est ensuite mobilisé et affecté à Mourmansk, au sein de la flotte du Nord, en qualité de lieutenant et de correspondant militaire spécial. C’est donc aux premières loges qu’il assiste aux ravages causés par l’invasion allemande dans un empire soviétique qui manque cruellement de préparation. A l’automne 1943, en se retirant d’Ukraine, l’armée allemande massacre les populations et traque les juifs pour les exterminer. Le père de Khaldei et ses demi-sœurs sont jetés vivants dans un puits de mine désaffecté. Ce drame marquera profondément le photographe.
Il reste pourtant présent sur tous les fronts. Traversant les pays libérés par l’Armée Rouge (Roumanie, Bulgarie, Yougoslovie, Pologne, Hongrie, Autriche, Allemagne ...), il témoigne de la joie et de la détresse des populations. Arrivé à Berlin, Khaldei confectionne lui-même un drapeau soviétique, engage quelques soldats pour gravir avec lui le Reichstag et trouve le bon cadrage. Sa photographie Le drapeau soviétique sur le toit du Reichstag devient le symbole de la fin de la guerre et de la victoire sur le nazisme. Remarqué par les instances dirigeantes soviétiques, il est accrédité pour suivre la conférence de Postdam et le procès de Nuremberg.
Dans l’après-guerre, Khaldei fournit pour l’agence TASS les images du communisme triomphant, usines grandioses, ouvriers radieux, grandes manifestations à la gloire de Staline. Mais quand ce dernier entame en 1948 une croisade contre le "cosmopolitisme", qui vise essentiellement les juifs, Khaldei perd son travail. Par précaution, il détruit toutes ses photographies de célébrités juives. En 1959, il est engagé par la Pravda. Pour le grand quotidien du Parti communiste, il sillonne les républiques du pays et photographie les dignitaires du régime, ainsi que différentes personnalités. Au début des années 70, victime d’une nouvelle purge antisémite, Khaldei est licencié. Des amis lui trouvent quelques commandes qui l’aideront à vivre, difficilement.
La reconnaissance internationale de l’œuvre de Khaldei se fera tardivement, après la chute du communisme. C’est ainsi qu’en 1995, il est un des invités d’honneur du festival « Visa pour l’Image » à Perpignan. Sa fameuse photo du Reichstag prise le 2 mai 1945 fait écho à celle de Joe Rosenthal présentant le drapeau américain dressé par un groupe de soldats lors de la guerre du Pacifique. C’est la reconnaissance en Occident d’un immense reporter.
Il mourra deux ans plus tard, en 1997.
Le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme remercie Ernst Volland et l’agence photographique Voller Ernst, le Musée juif d’Amsterdam (Joods Historisch Museum) et son conservateur Edward van Voolen, ainsi que Mark Grosset.