Enri  MATO

Enri Mato

#Photographe
Inspiration de l'ombre et la femme, une seule, la savoir être la muse de Julia Lutz. Le contact entre la lumière et la peau, tout univers commence par là, et il fini quelque part vers l'infini. Mouvement dans le vide, espaces perdus, recherche de l'absolute, crises de consciences, intimité du bonheur, je veux que l'inattendu se place dans un instant et dans un lieu bien déterminés. Je ne saurais que faire d'un inattendu qui arrive n'importe comment et n'importe où, cela ne servirait à rien, n'amènerait que de la confusion. Donc je pose des bornes, j'ouvre des couloirs, je lui prépare des pièges et j'attends de le saisir.

Il arrive, quelquefois, qu'il ne se présente pas, ou bien il se présente et je le loupe, ou je crois qu'il se présente et je me trompe. Je me suis dis : "C'est le moment où je rentre...", il y a donc une mise en scène délibérée, mais quand on voit les photo on n'y pense pas, on sent seulement qu'il se passe quelque chose, là, dans mon attitude, la photo pourrait être très belle ou très triste, elle est sans âge, tout à fait intemporelle.

Très souvent je me dis : "Je voudrais faire une photo où il ne se passe rien." Mon rêve serait d'arriver à cette épuration. Mais pour enlever il faut qu'au départ il y ait quelque chose. Pour qu'il ne se passe rien il faut que d'abord quelque chose se passe. Quand je travaille avec des décors, il m'arrive de les effacer de ma photo, ou de les mélanger ou d'utiliser des miroirs pour qu'on ne sache plus quel est le décor. Je voudrais qu'on enlève le maquillage pour qu'on ne pense plus au maquillage, qu'on enlève les vêtements, je passe mon temps à enlever, pour que quelque chose me surprenne, pour que je ne sache plus que je suis dans la nature, avec un cadre que j'ai choisi, un décor sur lequel j'ai discuté pendant des heures, j'attends une lumière qui se prépare pendant toute la journée. Finalement, ce qui me fait déclencher est le sentiment de reconnaître quelque chose. Comme si, tout d'un coup, je sentais : "Oui c'est ça" - ce sont d'ailleurs les mots qui me viennent aux lèvres. Je reconnais quelque chose que pourtant je n'ai jamais vu, qui échappe à toutes mes constructions. C'est ça les cadeaux de ma vie.

Moi je suis là devant elle, je ne sais pas ce qu'elle doit faire, et d'ailleurs même si je le savais je ne pourrais pas le dire. II faut que ça vienne d'elle, c'est comme de l'hypnotisme, je regarde, je regarde et j'attends. Bien sûr, je déclenche pour l'encourager, pour m'encourager, pour encourager tout le monde.

Parce que ça a été tellement court. Et que tout de suite après je n'en suis plus sûre. Parce que j'ai peur de passer à côté de quelque chose, face à toutes ces conditions si laborieusement réunies et qui demain ne seront plus là. Je sais qu'il y a, dans ma manière de travailler, quelque chose de terrifié par rapport au temps. Quand je suis ému par la beauté d'une fille, c'est par ce qu'elle a de fugitif, par le sentiment de l'instant qu'il faut saisir. Je sens la beauté qui passe et s'en va, et ça me désespère aussi, parce que je me demande si j'ai été à la hauteur de ce privilège et si j'ai su faire ce qu'il fallait pour en rendre compte. Notre angoisse, notre sentiment de culpabilité, c'est que nous savons que ça dépend de nous, du regard que nous portons sur les choses.

Ce n'est pas seulement l'instant où l'on photographie qui est trop court, pas seulement le jour du boulot, mais toute notre existence de photographes, nous avons toujours cette peur qu'elle soit déjà passée. Peut-être que je devrais me dire simplement qu'il ne faut pas rester trop longtemps sans travailler, qu'il faut faire marcher la machine, que, si elle ne marche pas, je ne me donne pas une chance que ça arrive. Je devrais accepter la possibilité de rater, me dire que finalement ça n'a aucune importance, que, si je ne peux me permettre de rater un travail de commande, j'ai quand même le droit de rater ce que je fais pour moi-même.

Je devrais me dire : "Chaque jour je vais faire une photo."