
© Adrien Golinelli
Comme lorsque enfant, nous nous transposions dans la peau d’un héros pour fuir un sentiment de faiblesse, désormais quand nous perdons confiance en nos objectifs, en notre travail, en notre société, en notre économie, nous nous tournons vers ce havre intérieur qu’est le Bhoutan. Une contrée de vertes vallées où l’argent ne compte pas, où la mode ne dicte pas ses codes, où la « technologie destructrice de la société occidentale » est gardée à distance par une force spirituelle plus forte que tout désir matériel.
Il existe cependant un pays au nom identique, le Bhoutan. Plutôt qu’un pays, un chantier géant : sa capitale ne cesse d’enfler, l’intégralité de ses rivière est en train d’être entravée par des barrages géants, et on perce des routes au quatre coins du territoire. Ce pays était naguère le plus pauvre d’Asie, et pour cacher ses oripeaux, a inventé l’idée de « Bonheur national brut », remplaçant habilement un Produit national brut quasi-inexistant.
© Adrien Golinelli
Le véritable Bhoutan a un pied dans le Moyen-âge et un pied dans la mondialisation. C’est bien un pays de contes, mais de contes de Grimm. On y pend encore des supposées sorcières, et le haut clergé se repaît grâce aux menus économies de la populace. Tous les prétextes sont bons pour réclamer un don : même le salut de l’âme des animaux morts !
A côté des touristes qui ne les voient pas, aveuglés par leur chimère, les Bhoutanais semble sortir d’un âge sombre. Ils sont vampires, loups-garous, nixes, elfes ou nains, peuple terreux, peuple hagard. Des apparitions ambiguës, à la fois proches et inquiétantes, dans un entre- temps irréel.
© Adrien Golinelli
Adrien Golinelli explore le concept de « Bonheur National Brut », censé être une panacée aux maux du capitalisme et qui a fait connaître le petit royaume himalayen qu’est le Bhoutan. Jusqu’à présent, Bhoutan rimait avec bonzes radieux, cimes étincelantes et nature intacte. Adrien Golinelli soulève ce voile d’exotisme en papier glacé pour porter un regard sans concession, montrant ce que l’on refusait de voir : les montagnes éventrées, les festivals fabriqués pour les touristes, les esclaves qui construisent des routes et des bouddhas géants. Il le fait d’une manière sensible, souvent indirecte, nimbant ses sujets d’une atmosphère mystérieuse. Son travail est ici résolument personnel, transmettant au spectateur autant d’informations à travers les ambiances qu’il construit qu’à travers le sujet lui-même.
Loin d’un catalogue des affres de la modernité, c’est une sorte de bestiaire fantastique, tantôt doux et tantôt angoissant, d’un pays qui a encore un pied dans le moyen-âge mais déjà l’autre dans la mondialisation.
© Adrien Golinelli