Une toute première pour la galerie Le Minotaure, les collectionneurs et la place parisienne : un focus sur l’oeuvre du visionnaire et ingénieux Erwin Blumenfeld, sous la forme d’une présentation monographique de pièces uniques, dévoilée en avant première à la Fiac 2009 et complétée par un ensemble de photographies vintages, au 2 rue des Beaux-Arts, toujours visible par les amateurs au moment de Paris Photo.
Dans la sélection d’œuvres magistrales de l’artiste Erwin Blumenfeld (1897-1969) qui sera proposée dans l’enceinte du Grand Palais du 22 au 25 octobre 2009, les amateurs trouveront notamment des collages/photomontages dadaïstes et satiriques dénonçant le pouvoir et le totalitarisme. Dès le 27 octobre et jusqu’à mi décembre 2009, des tirages photographiques d’époque seront présentés dans les murs de la galerie cette fois. Grâce à cette initiative de Benoît Sapiro, dynamique directeur du Minotaure, les passionnés d’art pourront mesurer l’étendue du travail de ce juif allemand émigré aux États-Unis, initialement maroquinier, qui devint l’un des photographes les plus influents du XXème siècle. Pour cet événement consacré à Erwin Blumenfeld, Benoît Sapiro, a réalisé une sélection exceptionnelle d’œuvres en privilégiant les premières années de l’artiste, entre 1916 et 1939: quand il dénonçait le régime nazi avec ses photomontages accusateurs ou quand il expérimentait le champ de la création photographique dans la mouvance du Dadaïsme, du Surréalisme.
Créées au cœur d’une période noire de l’histoire, ces œuvres sont toutes d’une extraordinaire force et de grande modernité. Jamais publiées ou exposées par l’artiste, elles constituent plutôt une sorte de journal intime teinté d’humour noir et de sarcasmes, faisant allusion à Hitler, à Charlie Chaplin, au champion de boxe Jack Johnson… [ Le choix des sujets évoque une collection de cartes postales d’événements remarquables.
Tout comme Mark Haworth-Booth le précise : « Il [E.B.] est l’exemple de quelqu’un qui est à l’aise dans son époque. » ] (Helen Adkins, extrait du catalogue). En 1937, il créée Le Minotaure (voir page suivante), statue de Vénus surmontée d’une tête de veau, qui provoque la colère de l’Ambassadeur d’Allemagne et dont la composition sera reprise en peinture par Picabia. La même approche esthétique se retrouve dans ses photographies, à tel point que l’étude des collages permet d’éclairer sous un nouveau jour le travail photographique de Blumenfeld, qui ne se consacrera plus qu’à ce médium à partir du milieu des années 30. Surimpression, répétition, fragmentation, solarisation se retrouvent ainsi au fil de ses images, y compris dans les compositions plus classiques de ses photographies commerciales. Ainsi, il n’existe pas d’éditions de ses tirages vintages ; chaque image est unique dans les contrastes, l’éclairage et le cadrage.
Avec cette multiplication des expérimentations, dans un souci permanent d’éviter un pur enregistrement du réel, Erwin Blumenfeld a laissé une œuvre dont le langage est une constante surprise et a profondément marqué l’histoire de l’art du XXème siècle.
Extraits du catalogue : texte d’Helen Adkins.
Charlie Chaplin
Blumenfeld est fasciné par Charlie Chaplin et par le fait qu’il soit devenu un grand artiste tout en restant fidèle à lui-même. Charlie, l’œuvre la plus connue de cette période, présente un drapeau au-dessus de la croix nous
indiquant que le « Jésus » de l’auteur a été crucifié par le Reich Allemand. Dans cette manipulation du symbole du Christianisme, bien que cloué sur la croix, Chaplin dirige une production complexe, assurant ainsi la paix et l’ordre dans un monde écartelé entre militarisme et diablerie, Christianisme, Bouddhisme, mysticisme, technologie, procréation et adoration de la femme – l’imagerie propose un concentré de l’iconographie d’après guerre de Blumenfeld. Son langage visuel ambigu résulte de la fine interaction entre les éléments de montage, le dessin, la couleur et la composition. […]
Hitler
La renommée de Blumenfeld en tant que photographe a supplanté toute attitude politique qu’il aurait pu avoir. Bien que son autobiographie déborde de haine pour le Geist allemand, son identité publique est fortement
définie par le monde de la mode. C’est pour cette raison que, récemment encore, ses divers portraits de Hitler datant de l’élection de Janvier 1933 semblaient être l’exception à la règle. Ils sont pourtant dans la lignée directe des montages qui dénoncent rétrospectivement l’Empereur Guillaume II et la Première Guerre Mondiale, tels que Persil et Omnium Photo […]. A Paris en 1936–1937, Blumenfeld se procure une tête de veau, un grand tissu de soie et une reproduction en plâtre d’un torse de Vénus. Avec ces éléments, il a tous les ingrédients nécessaires à sa photographie Le Minotaure ou le Dictateur. Il n’a plus besoin d’un portrait pour que son image soit comprise : l’autocrate, dramatisé par un éclairage de feux de rampe, évoquant clairement la décadence du pouvoir Romain, pose triomphalement. Mais Blumenfeld dégrade le Minotaure – mi-taureau, mi-homme – il le transforme en un hermaphrodite d’un autre genre, empestant la putréfaction. Ici, dans le contexte de l’année 1937, la présentation du Guernica de Picasso au pavillon espagnol à l'exposition universelle de Paris ainsi que l’exposition d’ "Art Dégénéré" à Munich doivent être rappelés pour mémoire. En 1941, Francis Picabia s'inspire du Minotaure de Blumenfeld pour un tableau à l’huile qu'il appelle L'adoration du veau. Il y ajoute des mains de fanatiques jurant fidélité à un monstre au nez rose.7 Les mains, l’addition de la couleur et l’agrandissement du motif rendent l’image plus directement explicite que dans l’abstraction de Blumenfeld.
La ville en fond
[…] En 1939, à l’occasion d’une commission pour un portfolio de vingt pages pour Vogue France en commémoration du 50e anniversaire de la Tour Eiffel, Blumenfeld exploite à nouveau le thème d’un personnage flottant au-dessus de la cité : dans cette image, le modèle Lisa Fonssagrives, dotée d’une cape en hermine blanche de Weil, est une riposte élégante à la photo Érotique Voilée de Man Ray (1933). La vision graphique et féerique de Paris avec l’ombre de la Tour Eiffel est un photomontage et l'une des maintes images créées sur la base de ce photo-shooting pour Vogue.
Qui perd, gagne
Sous divers aspects, la vie de Blumenfeld a souvent été contradictoire. Même s’il visite Paris, sa ville lumière tous les ans depuis le début des années 1920, il n’y déménage que lorsqu’il n’a pas d’autre choix, à cause de
la menace allemande. De même, son passage du journal anarcho-dada à la photographie de mode est l'une des maintes contradictions qui font partie intégrale de son œuvre et de sa personnalité. Le refus de montrer ses montages au public l'a peut-être empêché d'être reconnu dès sa jeunesse, mais lui a épargné l'étiquette officielle d’artiste « dégénéré » ainsi que la terrible humiliation personnelle qui en découlait. Alors que maints artistes de sa génération ont perdu leur art dans les émois de l’émigration aux États-Unis, c'est là que commença la carrière tardive de Blumenfeld. C’est son travail remarquable jusqu’en 1941 qui lui a permis d’atteindre aussi rapidement le zénith aux États-Unis. Un engagement politique de grande envergure en Europe y aurait dangereusement nui.