Nang & Chris Mai - Urloved Photography
Tant mieux. D'un point de vue strictement légal, ils n'étaient pas dans leur droit. Discriminer quelqu'un en fonction de ses orientations sexuelles va à l'encontre de la loi californienne. Nous ne sommes pas en Egypte ou au Cameroun qui n'hésitent pas à jeter leurs homosexuels en prison. Nous ne sommes pas non plus en Iran, en Arabie saoudite, au Yémen, au Soudan ou au Nigeria qui les condamnent à mort. Nous sommes à San Francisco où la discrimination sexuelle est illégale. Nous sommes à San Francisco, ville emblématique s'il en est, d'une liberté sexuelle pour toutes et tous. Ville arc-en-ciel, porte étendard des mouvements et de la culture gay. Mais alors, l'homophobie ne serait donc pas l'apanage de contrées lointaines et "barbares" ?
La question devient gênante car si la loi protège, elle n'empêche pas totalement le discours homophobe de se faire entendre. « Au commencement, il y a l’injure »* a écrit le sociologue Didier Eribon. L'injure directe, franche, verbale, jetée au visage du petit garçon efféminé ou de la jeune fille aux cheveux trop courts. Puis il y a l'injure qui se déguise. Celle qui, sous ses airs de tolérance affirmée, rejette et discrimine. Les Mai n'ont pas clairement énoncé ou verbalisé leur homophobie, ils ont même des amis gay ("We have friends in the LGBTQQ community") précisent-ils d'ailleurs dans leurs excuses publiques. Le fameux alibi de l'amitié. Celui-là même que le racisme ou la misogynie utilisent. « Je ne suis pas raciste, mon meilleur ami est noir », « Je ne suis pas macho, j'adore ma femme », « Nous ne sommes pas homophobes mais nous ne souhaitons juste pas photographier un mariage gay ».
Ce qui est intéressant ici, au delà du débat sur le mariage pour tous - qui n'a plus lieu d'être si l'on considère que nous sommes tous égaux dans la société dans laquelle nous vivons et devons en conséquence avoir les mêmes droits - est la question des représentations gay. L'image d'une homosexualité devenue banale, conformiste même, dérangerait-elle plus que ses images très sexuellement marquées et traditionnellement véhiculées ? Le saccage de l'exposition http://actuphoto.com/25221-l-exposition-en-plein-air-les-couples-imaginaires-d-olivier-ciappa-vandalisee-a-paris.html" en juin 2013 semble être une preuve flagrante de ce paradoxe.
Jean-Paul Rouve & Elie Semoun, © Olivier Ciappa
Voir des couples gays vivre "comme les autres" apparaît aux yeux de certains comme une chose insupportable. Le dernier ouvrage de la photographe Sage Sohier, http://actuphoto.com/25221-l-exposition-en-plein-air-les-couples-imaginaires-d-olivier-ciappa-vandalisee-a-paris.html"est particulièrement intéressant sur ce point. Il propose une vision de l'Amérique des années 1980 plutôt inédite où l'artiste offre une galerie de portraits intimes de couples homosexuels comme on n'en a rarement vus. Loin des images parfois trash ou provocantes, elle donne à voir des couples gays et lesbiens dans leur quotidien, chez eux, en famille etc.
Sheia & Dorothy, Santa Fe, 1988 ©Sage Sohier
Et c'est bel et bien cette vie ordinaire qui bouscule et heurte les bien-pensants. A croire que la figure de l'homosexuel bien identifiable, comme chez Mapplethorpe ou David LaChapelle, aurait pour eux quelque chose de plus rassurant. Il ne s'agit évidemment pas ici de démentir le caractère subversif du travail des deux photographes, mais plutôt de s'amuser d'un déplacement subtil de la provocation. Elle n'est plus seulement dans un cache-sexe ultramoulant, elle est aussi passée au salon.
© Mapplethorpe
En parlant de cache-sexe d'ailleurs, on vous signale en passant que http://actuphoto.com/25221-l-exposition-en-plein-air-les-couples-imaginaires-d-olivier-ciappa-vandalisee-a-paris.html" n'en auront aucun sur leur calendrier 2015. Ils ont aussi eu la bonne idée de mettre en avant une cause qui leur tient à cœur : la lutte contre l’homophobie dans le sport. Ils se sont donc associés à l’organisme américain GLRF (Gay + Lesbian Rowing Club).
Vive la photo pour tous !
© Capucine LEFEBVRE et Gaetan TOLLET
Emilie Lemoine
*Réflexions sur la question gay, Didier Eribon, Fayard, 1999.