Mélanie Gribinski
Interview par Roland Quilici (rolandquilici@aol.com)
- Pourriez vous nous raconter, laraison, qui vous a donné envie
d'utiliserune chambre en bois au format 18X 24
C'est un instrument qui demande une grande maîtrise,qui est
lourd, et donc difficile à manier.
A l'heure ou les gens utilisent des appareils de plus en plus
petits et de plus en facile d'emploi.
- Est ce pour rester dans la tradition des portraitistes d'autrefois ?
Comment avez vous fait l'acquisition de cette chambre ?
C'est à l'école de photo MJM à Paris que j'ai commencé à faire quelques
photos à la chambre 4x5 en studio.C'était l'appareil de l'école et nous
n'avions pas l'autorisation de le sortir du studio. Je photographiais
mes copains. Après l'école de photo j'ai travaillé à Imaginoir et c'est
Jean-Yves Bregand, le fondateur du labo, qui m'a prêté sa chambre 20x25.
Je me suis décidée ensuite à m'en acheter une. Lorsque j'ai vu le prix d'une
chambre 20x25, même d'occasion, ça m'a déprimé. J'ai quand même été voir
chez Cipière, Bd Beaumarchais. Il y avait une chambre en bois 18x24
magnifique des années 40 à 2OOO francs. Je l'ai acheté et depuis on ne
se quitte plus.
D'abord, et même avant d'utiliser une chambre, j'ai toujours
photographié les êtres humains. Une photo sans personne même une très
belle photo me donne une sensation de vide ou de mélancolie, il manque
une présence. Les êtres humains sont ce qu'il y a de plus intéressant au
monde. Les photographier me permet de les rencontrer, au moins une fois.
Je préfère les photographier dans leur univers, chez eux, pour qu'ils
s'y sentent bien et qu'ils soient le plus authentique possible.
Je n'ai jamais eu l'intention de rester dans la tradition des
portraitistes du IXE siècle, même si la chambre, avec la pose, la mise
en scène etc... Y font penser. Simplement, l'utilisation particulière de
la chambre me convient. Pour de nombreuses raisons. Là il faut que je
fasse le tri entre ce qui peut être intéressant pour les autres et ce
qui n'intéresse que moi... J'y réfléchis.
Ce-là dit je photographie mes enfants avec un numérique et j'adore ça.
Eux aussi d'ailleurs !
- Il me semble avoir lu quelque part, que votre père est psychanalyste,
est ce la raison, pour laquelle, vous avez eut l'envie de faire une
série sur les psychanalystes ?
Comment avez- vous réussit à obtenir leurs accord ?
À les convaincre ?
Combien de temps vous a-t-il fallut, pour mener à bien ce travail ?
Mon père et ma mère sont psychanalystes, et ils se sont remariés avec
des psychanalystes qui sont tous les deux décédés depuis.
Pour moi, la psychanalyse est une affaire de famille.
Je connaissais les noms de
grands psychanalystes, mais pour la plupart je ne les avais jamais
rencontré. Avec mes parents bien sÛr, et J.-B. Pontalis, nous avons
commencé à établir une liste, puis je leur ai écrit pour leur faire part
du projet et leur demander leur accord. Seulement deux psychanalystes
ont refusé, j'en avais contacté environ cinquante. Je leur ai ensuite
demandé d'écrire quelques lignes à propos de leur propre image. Ce
travail a duré deux ans, au bout des quels j'ai tenté de le présenter à
des éditeurs. Mais j'étais jeune et inconnue, et les éditeurs qui ont
bien voulu me recevoir m'ont clairement dit qu'ils ne feraient pas de
bénéfice dessus, au revoir mademoiselle. Donc j'ai décidé de l'éditer et
de distribuer moi-même. Les 500 exemplaires ont tous été vendus. Ça a
été le début des éditions La Chambre.
Cette entreprise d'édition acessée en 2002.
- Les photographies semblent avoir été prisent chez les gens, ce qui a
du être une difficulté supplémentaire.
Vous voir débarquer avec une chambre, repérer l'endroit ou vous vouliez
placer votre sujet a du être difficile à réaliser.
Raconter nous la manière dont vous avez procéder.
Il n'y a que le poids de l'appareil qui est contraignant, mais d'un
autre côté ça me met en condition. Ce n'est pas difficile d'aller chez
les gens. Quand j'arrive tout est déjà là, le décor est en place, le
sujet s'est préparé, la lumière fait l'ambiance. Je prends toujours le
temps de faire un peu connaissance avec la personne, avec le lieu et les
objets. Souvent et très vite il y a une lumière ou un objet ou une
attitude qui s'impose et là, c'est parti! Je monte l'appareil, je fais
le cadrage et mesure la lumière et je dis à la personne qu'elle ne devra
pas bouger pendant plusieurs secondes. Quand je déclenche, plus personne
ne respire. Je fais six prises de vue. Il y a beaucoup de tension pour
moi, mais aussi pour la personne photographiée et il ne faut pas que les
prises de vue durent plus d'1/2 heure-3/4 d'heure. Il arrive aussi que
ça ne marche pas comme je voudrais. Par exemple quand j'ai été
photographié Edmundo Gómez Mango psychanalyste d'origine uruguayenne
je n'arrivais pas à savoir où et comment j'allais m'y prendre. Je
trouvais son appartement triste et c'était communicatif. Au bout d'une
demi-heure j'ai monté la chambre et je me suis dit tant pis, je commence
quand même ça va me décoincer. Mais après cinq prises de vue
catastrophiques j'ai commencé à m'inquiéter parce qu'il ne me restait
plus qu'un film à exposer. Alors je lui ai dit que je n'étais très
contente de ce que j'étais en train de faire, que je devais réfléchir
pour la dernière photo. Puis il m'a dit "j'ai d'autres tableaux qui ne
sont pas accrochés, je peux aller les chercher". Il est revenu avec un
tableau de Tapiès qui représentait le A de Anarchie, il s'est dressé
devant près à défier toutes les dictatures d'Amérique Latine, accompagné
de ce "grand A" qui est aussi un concept psychanalytique. Je lui ai
demandé de regarder vers la lumière. J'avais ma photo.
- J'ai remarqué, que votre style est à la fois classique, sur certaines
images, et très libre sur d'autres.
Est ce l'utilisation d'objectifs différents, suivant les photos, ou
votre envie de montrer la personne, qui vous a conduit à utiliser des
cadrages aussi variés ?
Pour exemple le portrait de Denise Colomb est très serré, et néanmoins
très fort de par l'émotion qui transparaît.
Je n'ai pas vraiment de règles préétablies. Mon travail est en fait
très improvisé. C'est parfois un vrai casse-tête parce que j'ai à la
fois envie de faire un gros plan sur le visage et en même temps de
photographier le lieu. Je dois choisir. J'ai deux objectif; un Boyer
focal 210 mm en laiton de l'époque de la chambre, et un Tessar f:300
que j'utilise rarement je m'en suis servi par exemple pour le portrait
du psychanalyste Francis Pasche. En ce qui concerne le portrait de
Denise Colomb, j'ai eu envie d'être tout près d'elle. Chaque ride était
une histoire, un événement, une photo. L'objectifBoyer était à
20cm de son visage et Denise n'était pas du tout impressionné par ce
face à face alors que moi oui.
- Dans la plupart de vos images, on sent la maîtrise de la lumière.
Vous n'hésiter pas à photographier avec des contres jour, ou prés d'une fenêtre.
Certaines images sont savamment mise en scène, et font ressortir le
décor, on sent que vous contrôlez le cadre, la lumière, et le tirage.
- Vous réalisez six prises de vue, et vous effectuez des tirages au format
50X60, qui peuvent être ensuite vendus au prix de 450€.
Vous avez travaillé chez IMAGINOIR, un laboratoire qui est une référence
sur la place de Paris.
Est ce depuis votre passage dans cette petite impasse du 14 é ardt de Paris, que
vous avez pris le goÛt de faire des tirages ?
J'ai eu mon premier agrandisseur en même temps que mon premier appareil
photo, à 16 ans Crocus et Pentax donnés par mon père qui ne s'en
servait plus et peu de temps après j'ai installé mon labo dans
l'ancienne chambre de bonne de l'appartement au dernier étage de
l'immeuble. Evidemment j'y passais beaucoup de temps. Mais bien sÛr
c'est à Imaginoir que j'ai commencé à apprendre ce qu'est un bon tirage
N&B.
- Le grand format nécessite, non seulement beaucoup de savoir faire,
mais aussi un laboratoire pour effectuer ses tirages.
Pourriez vous nous raconter comment, vous avez installer le votre ?
Il y a deux ans, j'ai commencé à chercher un agrandisseur 20x25 ou
18x24, parce que je voulais faire des agrandissements de mes négatifs et
que j'en avais un peu assez de faire des tirages par contact. Je ne l'ai
pas trouvé, mais j'ai rencontré un excellent tireur, Pascal Bonneau,
également photographe. Comme il ne voulait pas me louer son labo équipé
d'un agrandisseur 20x25, je lui ai demandé s'il accepterait de tirer
quelques unes de mes photos. Depuis je me contente de développer mes
plans films et c'est lui qui fait les tirages. Ce n'est pas facile de
déléguer à un autre tireur le soin d'interpréter une photo, mais quel
soulagement !
- Avec l'avènement de la photographie numérique, n'avez vous pas de
problème, pour trouver des plans films, et du papier baryté, pour
réaliser vos tirages ?
Si bien sÛr, c'est un vrai problème. Il y a quatre ans, IlFord a cessé
la fabrication des films 18x24, alors je recoupe dans du 20x25. Mais
depuis quelques mois, même le 20x25 sont introuvables en France.
Pascal a
réussi à trouver un site Internet américain qui en avait encore un peu
en stock mais ensuite... je ne sais pas. Et pour le papier c'est la même
chose. Pascal, qui refuse de tirer sur autre chose que sur du Bergger, a
dÛ attendre trois mois avant d'être à nouveau approvisionné en papier.
Bien sÛr, il y a d'autres fabricants, mais avec d'autres qualités et qui
probablement vont suivre le même chemin vers la fabrication au compte
goutte. Je préfère ne pas m'angoisser avec ça, et j'ai du mal à croire à
la mort de l'argentique. Mais je suis bien impuissante face à ce
problème, je n'imagine pas fabriquer mes films avec du blanc d'œuf et
des boyaux de vaches.
- Ce serait intéressant d'expliquer comment vous êtes passé des portraits
d'artistes, d'écrivains, de musiciens aux portraits de famille plus
récemment.
En fait, depuis le début, je ne fais que des portraits de familles;
famille des psy, familles des poètes etc... La seule différence c'est
que je n'étais à peu près à l'aise qu'en photographiant des inconnus.
Mais j'ai vieilli et acquis un peu plus d'assurance; maintenant je peux
faire aussi le portrait de gens que je connais bien, des copains par
exemple. Et l'idée de portrait de famille m'est tout simplement venu
quand j'ai fondée la mienne.
- En revoyant votre portrait de Denise Colomb, qui est une splendeur,
pour le photographe, que je suis, et en voyant que vous avez publié un
recueil de ses photographies, je me suis replongé dans un de ses livres
publié par Carol Marc Lavrillier, intitulé portraits d'artistes Les
années 50/60.
J'y ai découvert un portrait de Vieira Da Silva ou D Colomb a utilisé la
surimpression, et j'ai remarqué que vous aviez également utilisé cette
technique pour l'un de vos portraits.
Je n'ai pas utilisé cette technique. Lorsqu'il y a dans mes photos une
surimpression, c'est une erreur à la prise de vue. C'est à dire que je
me trompe de côté au moment de remettre mon châssis ce sont des châssis
doubles, un film de chaque côté. Parfois le résultat me plaît.
- Cela m'amène tout naturellement à vous demander quelle était votre
relation avec Denise Colomb, dont vous avez fait un portrait, et qui
laisse à penser que vous la connaissiez bien.
J'ai rencontré Denise Colomb alors qu'elle signait ses livres dans une
librairie en 1993. J'avais acheté ma chambre quelques mois plus tôt. Je
lui ai demandé si elle acceptait que je fasse son portrait. Elle m'a
répondu oui allez-y... mais je ne vois pas votre appareil photo.
Alors je lui ai dit que j'avais une chambre et que je désirais la
photographier chez elle. La semaine suivante je l'ai photographié avec
son mari dans leur appartement. Nous avons très vite sympathisé.
Je venais lui rendre visite de temps en temps. Puis quand j'ai commencé mon
expérience d'éditrice, j'ai eu envie de lui proposer une publication.
C'est à ce moment que j'ai osé la photographier de tout près, pour la
couverture du livre. Nos liens sont devenus très amicaux, jusqu'à la fin.
Le portrait de Denise Colomb
Et la photo de Mélanie
Contre sa chambre